Le RN en 2025 : héritage, recomposition et incertitudes politiques
Une condamnation historique : la fin d’une ère Le Pen ?
Le 4 mars 2025, Marine Le Pen est condamnée pour détournement de fonds européens dans l’affaire des assistants parlementaires du Parlement européen. Cette décision judiciaire marque un tournant politique majeur, non seulement pour sa carrière personnelle, mais aussi pour l’avenir du Rassemblement National (RN), formation qu’elle a dirigée pendant plus d’une décennie. Bien que la peine soit assortie d’un sursis, son poids symbolique est considérable : la figure tutélaire du RN se voit durablement affaiblie.
Jordan Bardella : héritier désigné ou successeur contesté ?
Président du RN depuis 2022, Jordan Bardella est rapidement devenu la figure de proue d’un parti en quête de respectabilité. À 29 ans, il incarne une génération née après les fractures historiques de la droite française. Son positionnement est stratégique : il conserve l’ADN identitaire du RN tout en opérant une mue communicationnelle plus policée. Pourtant, l’apparente clarté de sa succession pourrait bien être illusoire.
La question qui se pose désormais est la suivante : le chemin de Bardella vers la présidentielle de 2027 est-il assuré ou bien le RN va-t-il entrer dans une phase de recomposition interne, à l’image des divisions qui marquèrent la droite dans les années 1990 ?
Un scénario à la Chirac-Balladur-Maigret ?
L’histoire politique française offre un précédent éclairant : celui de la droite post-gaulliste entre 1993 et 1995. À cette époque, Édouard Balladur, fort de sa popularité comme Premier ministre, se lance dans une campagne présidentielle contre l’avis de son propre camp. Son concurrent n’est autre que Jacques Chirac, qui finira par l’emporter en 1995. Dans l’ombre, Bruno Mégret, alors bras droit de Jean-Marie Le Pen, incarne la volonté de recomposition idéologique à l’extrême droite, avant sa scission en 1998.
Peut-on imaginer une résurgence de ces dynamiques dans le RN ? Le risque est réel. Si Bardella est aujourd’hui l’homme fort, des figures montantes comme Sébastien Chenu ou Laurent Jacobelli pourraient incarner une ligne plus technocratique ou plus populiste, selon les circonstances. L’enjeu n’est pas tant idéologique qu’organisationnel : le parti est-il en mesure de canaliser ses ambitions internes sans implosion ?
Une opinion publique fragmentée
En 2025, la confiance des Français dans les institutions politiques reste historiquement basse. Selon un sondage IFOP de janvier 2025, seuls 24 % des Français déclarent avoir confiance dans les partis politiques, un chiffre stable depuis une décennie. Cette désaffection ne signifie pas l’indifférence : elle traduit un désengagement général, où une minorité très active oriente les débats et les dynamiques électorales.
C’est dans ce contexte qu’il faut analyser le soutien dont bénéficie le RN. Le vote n’est plus seulement une adhésion idéologique, il est aussi un acte de rejet vis-à-vis des élites traditionnelles. Cette mutation explique en partie la montée en puissance d’un Bardella, dont le langage plus pragmatique contraste avec l’agressivité tribunicienne de la génération précédente.
Un paysage politique en recomposition
La condamnation de Marine Le Pen survient alors que les partis traditionnels peinent à se réinventer. Le Parti socialiste, en quête d’une nouvelle figure de rassemblement après les déconvenues électorales successives, tente de retrouver un espace politique sans réussir à s’imposer durablement. Les Républicains, fragilisés par des luttes intestines, oscillent entre alliances centristes et tentations droitières. Le macronisme, quant à lui, cherche tant bien que mal à se relever avec un tandem Macron-Bayrou qui peine à incarner une véritable synthèse nationale.
Face à cet éclatement du champ politique, le RN apparaît comme la formation la plus structurée, disposant d’un maillage territorial et d’un électorat stable. Mais cette solidité peut masquer une tension latente entre notabilisation politique et radicalité de base.
Conclusion : Bardella peut-il incarner une alternance ?
L’accession de Jordan Bardella à la candidature présidentielle de 2027 semble, à ce stade, probable. Mais elle n’est pas garantie. Elle dépendra de sa capacité à maintenir l’unité interne, à éviter les pièges d’une personnalisation excessive, et à répondre aux attentes d’un électorat volatil et désillusionné.
La condamnation de Marine Le Pen ouvre un cycle nouveau. Elle oblige le RN à sortir de l’ombre de son héritage familial. Reste à savoir si ce parti saura transformer cette contrainte en opportunité historique ou s’il revivra les fractures fratricides qui ont marqué la droite française depuis un demi-siècle.